Ma critique:
Cela commence un peu comme du James Ellroy, où l'on découvre que les racines du mal s'enfoncent loin dans le passé, avec la figure de Caryl Chessman, (véritable) premier violeur récidiviste de la fin des années 40 qui fût condamné à mort. Cette partie introductive est belle comme ces images d'épinal de cette époque. Malgré la misère des gens, ils savent que le monde va leur sourire, ils ont une fois inébranlable dans le rêve américain, et la mère du petit Thomas, malgré le viol dont elle a été la victime, espère qu'elle va s'en sortir et qu'elle va devenir quelqu'un. Mais il n'en est rien. On découvre son funeste destin, sa haine des hommes, le parcours malheureux de son défunt mari et la terrible enfance petit Thomas Bishop, qui finit pa tuer sa mère, pour ses 10 ans.
Cette revue de 20 ans d'histoires et d'anecdotes débouche enfin sur la présentation du personnage de Thomas Bishop, jeune adulte interné dans un asile psychiatrique, tentant de berner son monde pour enfin sortir de là, en vain. Mais comme il le rappelle en citant Charles Baudelaire: "la plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas!". Thomas Bishop doit trouver le moyen idéal de s'évader et de venger son père spirituel, Caryl Chessman, en tuant en son nom toutes les femmes indignes de ce monde.

Jusqu'à son évasion, la centaine de pages du roman est captivante et se lit d'une traite. Une fois le tueur libre, le livre part un peu dans tous les sens pour en effet présenter les divers personnages qui interviendront ici et là, et pour le final, évidemment. L'auteur s'amuse à tisser une toile de personnages où peu à peu ils se révèlent liés les uns aux autres: que cela soit les flics, les victimes, les politiciens, la mafia et le journaliste Adam Keaton, "profiler" avant l'heure. L'action devient donc multiforme, tout comme le style. Du coup, le rythme n'est pas aussi soutenu et manque, en mon sens, d'homogénéité. Entre d'une part les journalistes peu scrupuleux d'aviver la vindicte populaire en publiant des articles racoleurs sur la peine de mort; et d'autre part le politicien véreux et réactionnaire profitant de ce racolage médiatique pour se faire mousser, nous avons notre tueur qui est au beau milieu, et au milieu d'une rivière de sang, sur lequel il mène son périple, avec la même jovialité et insousiance de Jack Kerouac, quand il partait sur la route...
Même si quelques passages sont un peu glauques (surtout le première meurtre, et en fait cela sera le seul vraiment "gore" détaillé par rapport aux autres exactions, qui resteront assez sommaires), il y a une certaine nonchalance que je n'ai pas apprécié dans le récit du dantesque périple de ce diable à la gueule d'ange. En effet, le buzz médiatique sur ce livre veut nous faire croire que ce tueur est bien pire qu'Hannibal Lecter ou le Andreas Schalztmann de Dantec (ou tout autre serial killer de la littérature) mais il n'en est rien. Ce Thomas Bishop ne fait pas vraiment peur et je ne l'ai pas trouvé crédible. Il tue et se baigne dans le sang de ses victimes comme s'il prenait une douche, ou changeait de chemise. Et hop, en un coup d'éponge, il se nettoie et sort aussitôt tuer d'autres femmes. J'ai trouvé cela un peu léger et pas vraiment réaliste, car pour se débarasser de la merde et de la graisse humaine, il faut vraiment frotter!

Cette nonchalance ne pousse pas non plus à l'oppression où à un sentiment de malaise face à ce monstre. Pourtant, le livre est très bien détaillé sur le profil psychologique du tueur, les explications qui le pousse à tuer sont censés, surtout pour l'époque à laquelle a été écrit le livre, période où le "profiling" ne faisait pas légion dans la littérature du genre. La deuxième partie, mettant en scène le journaliste Adam Keaton est plus intéressante, plus construite, et nous aide à mieux comprendre les quelques diversions sur les autres personnages secondaires. La toile d'araignée se tend et les protagonistes s'y collent les uns après et les autres alors que le piège se referme peu à peu sur le tueur. L'auteur profite également pour dénoncer les méfaits de l'inconscient collectif et de la décadence des USA dans ces années 70, où toute la société se croyait capable du meilleur mais finalement bien capable du pire.
L'artifice du journaliste chasseur de tueur est très bien vu, surtout qu'il permet à l'auteur de placer ici et là de véritables anecdotes sur l'époque, qui au final sème le trouble: Thomas Bishop a-t-il réellement existé? En effet, en entamant l'histoire avec la véritable vie de Caryl Chessman (premier américain condamné à mort) et bouclant la fin de la cavale en pleine histoire du Watergate; on croit deviner que la mémoire collective est restée focalisée sur ces affaires, bien plus importante, comme semble le démontrer l'épilogue final où ces quelques paragraphes récurrents "un journaliste découvrira plus tard que...". Shane Stevens a réussi là un joli coup de poker et quelque part, malgré ma petite déception, je comprend l'engouement pour ce livre, trop longtemps oublié.

Note sur l'auteur:
Shane Stevens a écrit "Au-delà du Mal" (By Reason of Insanity) en 1979. Mais il aura fallut attendre prrès de 30 ans our que les Editions Sonatine parviennent enfin à récupérer les droits afin de permettre aux lecteurs français de découvrir l'un des romans précurseur en matière de tueur en série.
Shane Stevens est né à New York en 1941, et rien n'indique que cela soit son vrai nom. Il a écrit cinq romans entre 1966 et 1981 avant de disparaître dans l’anonymat. On ne sait pas grand-chose d’autre de lui. A la lecture de son livre, on peut se douter que c'est un journaliste mais aucune réelle information n'est connue le concernant.